Les gauchos juifs et le paysan Aguilar
« Les gauchos juifs » d’Alberto Gerchunoff et « Le Paysan Aguilar » d’Enrique Amorin décrivent la vie des exploitants de la pampa entre la fin du 19ème siècle et la grande crise des années 20 chacun avec une conviction aussi opposée que possible. Alors ? Pampa, apaisante ou étouffante pour les hommes qui y vivent ?…
« Les gauchos juifs » d’Alberto Gerchunoff publié en 1910 (Stock 2006 dans une traduction de Joseph Bengio et Nicole Czechowski) traite sous forme de nouvelles qui s’enchaînent, coulant comme l’eau des rios sagement dans leur lit, filant comme l’air pur dans les grandes herbes de la pampa d’alors, de l’implantation dans la pampa argentine, à partir de 1889, des juifs russes et ukrainiens victimes de progromes dans leur pays.
Bien écrit, ample, souple, fort, d’une belle subtilité, d’un style un peu intemporel, l’ouvrage relate -de façon idyllique, l’histoire aujourd’hui permet de l’affirmer- , la vie de ces pionniers dans les régions de Entre Rios et Santa Fé (autour de Moises Ville) arrivés là grâce à la Jewish Colonization Association du Baron Maurice de Hirsch. Ils ont travaillé la terre, cultivateurs essentiellement, ils ont mis en valeur une région reculée où le sol n’a pas donné toutes ses espérances. Aussi, s’ils étaient 20 000 sur 500 000 hectares en 1930, il n’étaient plus que 8000 dans les colonies de la JCA en 1966. Aujourd’hui, no sé.
« Les gauchos juifs », c’est le vécu et la croyance de l’auteur, une vision pastorale d’un paradis retrouvé grâce à la nature ; il laisse pourtant déjà percer une « criollisation » et un attrait des villes pourtant peu accessibles lorsqu’il a écrit. Il se dégage de l’ouvrage un apurement spirituel, empreint de gaité et d’humour mais aussi le sentiment que la pampa précisément n’est pas ce paradis que les immigrés espéraient reconquérir. Cette impression ne devait pas frapper les lecteurs lorsque l’ouvrage est sorti, mais nous, nous y voyons des nuages et des petites brèches qui ne demandaient qu’à s’élargir. L’ouvrage d’Alberto Gerchunoff se lit « comme un roman », comme un témoignage, aussi, dont on sait comme tous les témoignages qu’il est partial, et comme une prémonition.
Gauchos juifs ou paysan Aguilar, deux visages de la pampa
Vingt quatre ans après sa parution sortait « Le paysan Aguilar » d’ Enrique Amorin, publié chez Stock en 2006 (ce n’est peut-être pas la première édition en français, je n’ai pas vérifié). La scène se passe à petite distance des gauchos juifs et avec un écart dans le temps de moins de trente ans. Le sujet est éleveur, effectuant un retour à la terre familiale contre son gré, attiré par une force dont le lecteur saura si elle est téllurique ou affective. Le héros est un personnage inconsistant, le propos, comme cette pampa-là, pesant ! Je suis désolée de le dire mais je crains que la traduction y soit pour beaucoup.
Les très nombreux termes en italique non traduits n’apportent rien, au contraire ; les noms d’arbres ou d’insectes ont un équivalent en français, les lecteurs sont assez grands pour savoir ce qu’est un raisinier, ou le triatome ! Tout le monde comprend la différence entre un estaminet et un bazar-buvette ; l’évocation du cigare campagnard roulé dans une une feuille de maïs, celle de l’eau de vie (dans un pays de canne à sucre) suffisent et sont plus imagées que les noms communs en « urugayen » Quant au « paso »: passage, col, ou gué, un de ces mots précis n’alourdirait pas le récit … Enfin, le « gringo » dans toute l’Amérique latine c’est l’étranger, l’européen des Etats-Unis; le terme vient de « grey coatee », uniforme des confédérées, il est péjoratif depuis que certains franchissaient la frontière pour fuir les combats car sans doute volaient-ils alors les paysans pour survivre (cette dernière assertion souvent entendue est peut-être du domaine de la légende)…
Oui, l’espagnol d’Uruguay est différent de celui du Guatemala, de Bolivie ou du Mexique, oui il y a des créoles différents, mais pas au point de ne pas pouvoir être traduits ! Heureusement que « pampa » est depuis longtemps un terme géographique international. Allez, mettez 20 centimes dans la fente … et vous verrez la vie en rose.
- « Les gauchos juifs » d’Alberto Gerchunoff, Stock 2006 Collection La Cosmopolite, traduction de Joseph Bengio et Nicole Czechowski.
- « Le paysan Aguilar », d’Enrique Amorin, Edition Patiňo 2006.
- « Eche 20 centavos por la ranura » por el Cuarteto Cedron.
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